De ma santé mentale.

J’ai vu un corbeau se poser sur le rebord de ma fenêtre avec un paquet de chips dans le bec. Je me suis approchée : il s’est envolé et il a mangé ses miettes de chips en plein milieu de la rue. Il n’y avait pas une voiture, pas un passant, pas un vélo. Juste le corbeau et son goûter.

J’ai mangé du pop-corn à l’huile de coco et au sirop d’érable. J’ai mangé une soupe de fanes de navet et une soupe de fanes de radis. J’ai même bu une tisane aux épluchures de pommes. J’ai fait la vaisselle à la main pour économiser en tablettes de lave-vaisselle. Monsieur le Président a dit que c’était la guerre, alors à la guerre comme à la guerre, je rationalise. Je suis en train de me sevrer d’un médicament que je prends depuis 7 ans tous les soirs pour éviter d’avoir des brûlures d’estomac : j’ai espacé un jour sur deux et j’en suis maintenant à un jour sur 3. Je crois qu’on peut parler de cure de désintoxication. Ce qu’on ne fait pas pour éviter de faire les courses et d’aller à la pharmacie !

Malheureusement, il a bien fallu que je me rende à l’évidence à un moment donné : je ne pouvais pas vivre sans café et manger des lentilles au petit-déjeuner. Il fallait que je m’approvisionne. Alors je me suis cousu un masque en tissu, à la main. Ce qui m’a pris approximativement 7 heures. Quand je suis sortie je ne l’ai même pas porté car j’avais honte.

J’ai réussi à faire les courses sans attaque de panique.

Il faut dire que j’avais déjà pas mal donné : j’ai fait une crise d’angoisse lorsque j’ai croqué dans une carotte vraiment pas bonne et une crise d’angoisse lorsqu’après avoir mangé une salade à la vinaigrette, le bout de ma langue était couvert de petites plaies. Je me suis demandée si j’allais mourir. J’ai survécu mais un doute persiste : vais-je finir complètement hypocondriaque d’ici la fin du confinement ? J’ai fait une crise d’angoisse à l’idée de devenir hypocondriaque.

J’ai téléchargé des jeux abrutis pour m’abrutir plutôt que de nourrir mon angoisse avec la lecture intempestive de l’actualité déprimante du monde. J’ai aussi téléchargé Just Dance pour danser comme une timbrée et que quelqu’un me félicite sur mes progrès psychomoteurs (Le robot de Just Dance est très satisfaisant de ce point de vue là). Je ne joue pas trop longtemps car après je perds mon souffle et j’ai des courbatures… je suffoque… ce sont des symptômes du COVID !!

Aussi, je médite et fais beaucoup de yoga pour me détendre mais surtout à cause des mes rhumatismes (réels et non fruits de mon hypocondrie). D’ailleurs, je maitrise presque l’écrasement facial. C’est une posture de yoga (son appellation en sankrit est imprononçable) qui ravive le masochisme de ma jeunesse : assise les jambes écartées à essayer d’embrasser le sol. Torture de gymnase et madeleine de Proust. Je lis dans cette position. Pour mon confort articulaire, voyez vous. Je marche aussi 30 minutes tous les deux jours autour de ma table de cuisine. Pour mon confort articulaire, voyez vous également.

J’ai joué aux dés sur Skype, j’ai joué au Trivial Pursuit sur Skype, j’ai fait des mots fléchés sur Skype. Je joue au Yams sur mon téléphone. J’ai proposé à ma mère de jouer au Scrabble à distance. Il me tarde de recevoir mon Puzzle.

Souvent, je me sers une Suze à l’apéro. (100€ de courses pour une personne seule, certes, mais avec une bouteille de Suze ! On ne perd pas le Nord). Je rêve d’avoir un teckel que j’appellerais Merlot. Je fais des bocaux de légumes. Je fabrique des remèdes de grand-mère pour la peau (à vrai dire, j’ai mélangé le début d’une recette de cosmétique et la fin d’une autre. J’ai donc un masque pour la peau pour les cheveux, au loisir)

Je crois que c’est le moment de me rendre à l’évidence : je suis prête pour vivre dans un EHPAD. Il faudra peut-être des volontaires pour les repeupler bientôt (oh ça va).

D’ailleurs, en parlant de vieux, je suis retombée amoureuse d’Edgar Morin. Il me rend toute chose.

Tordue, hypocondriaque ou vieille. Ma vie post-confinement est toute tracée.

Illustration – Alex Katz